LE SUJET
Le mot « sujet » du latin « sub
(dessous) jectum (jeter) » signifie littéralement être
« jeter sous ». Ceci désigne un être passif assujetti.
Mais le mot « sujet » a également un
sens positif. Il désigne un être caractérisé par une conscience (c’est-à-dire
une capacité à penser) et la liberté de devenir quelque chose.
La question fondamentale va consister à tenter
de savoir si le fait que l’homme ait une conscience lui procure forcement une
toute puissance et une maitrise de lui-même
I.
Le sujet, un être de maitrise
libre et conscient.
La conscience confère à l’homme la possibilité
de penser, de se mettre à distance de lui-même et des choses pour se les
représenter. La conscience est forcement distanciation. En dialoguant avec
lui-même, l’homme est capable de produire des idées, de les remettre en
question et de revenir sur elles.
Cette capacité lui permet de s’introspecter
pour se connaitre, se modifier, se construire. Le sujet a une volonté qui
l’émancipe du déterminisme. Seul l’objet est voué au déterminisme, il ne peut
être que ce qu’il est.
Le fait que l’homme soit un sujet implique
certains devoirs et notamment un devoir de dignité humaine et de
responsabilité. Le but de la conscience est de nous aider à vivre le plus humainement
possible. Pour Platon toute sagesse
implique le questionnement sur soi. C'est-à-dire avoir la capacité de douter et
surtout de reconnaitre son ignorance (savoir qu’on ne sait pas). Ce qui fait
toute la dignité de l’homme c’est de distinguer ce qu’il sait de ce qu’il ne
sait pas, c’est donc admettre qu’il n’aura jamais fini de savoir , cette
dimension d’infini le fait toucher à ce qu’il a de divin en lui, et ce divin
est la pensée.
Infini=divin=pensée
II.
Le sujet, un être complexe et
contradictoire.
Dans le sens étymologique, le mot
« sujet » donne subjectivité. Ce mot peut avoir une connotation de
limitation, l’homme serait au contraire limité par sa conscience, enfermé dans
un point de vue qui peut déformer les choses, qui peut lui faire croire avec
certitude qu’il sait alors qu’il ne sait pas et finir par le rendre obscure à
lui-même. Dés lors la conscience n’est plus synonyme de souveraineté mais
plutôt de servitude. Si c’est ainsi, la liberté peut être très limitée, l’homme
n’est peut être pas toujours libre de ses choix et de ses idées. Il peut
être soumis à diverses forces qui le manipulent et peuvent l’animaliser. Il
subit également l’influence de ses désirs, d’autrui, de la société, il n’est
donc pas toujours sujet souverain.
Nietzsche écrit : « Que dit ta conscience ?
Tu dois devenir ce que tu es ». Par cette formule paradoxale, Nietzsche rappelle à l’homme qu’il doit
vouloir être lui-même, être soi-même n’est pas quelque chose de donné et de
figé, mais une tache à accomplir. De ce point de vue là, la conscience devient
un aiguillon à être.
Chapitre : 1 La conscience
On distingue la conscience psychologique qui
désigne la conscience intérieure que le sujet a de lui-même et une conscience
morale qui est liée à la connaissance du bien et du mal. On va essayer de comprendre
qu’elle est la valeur de la conscience humaine et quelles sont ses limites.
I.
Conscience et souveraineté du
sujet
Au sens le plus simple, c’est être éveillé et
attentif. Cependant, dans un sens plus accompli, la conscience désigne ce qui
rend possible le fait de se penser soi-même en se mettant à distance de
soi-même. Etre conscient c’est savoir que l’on pense. La conscience est un lieu
de vie dans lequel l’homme se pense et se parle à lui-même. Grace à cela, la
conscience est capable d’exprimer notre « moi » et notre identité.
Il y aurait donc possibilité de coïncidence
entre celui qui pense et lui-même, entre soi et soi-même.
Pour Descartes,
le fait que ce soit la conscience qui fasse la preuve de l’existence implique
que la conscience peut être le modèle de la connaissance et de la vérité.
« Je pense donc je suis » (Discours
sur la méthode, 1637), par cette phrase, Descartes
fait de la conscience le fondement de la vérité. En effet, cherchant une vérité
absolument certaine sur laquelle fonder la science, Descartes entreprend de douter de tout ce qu’il tient pour évident.
Or, ce qui résiste au doute est le doute lui-même. Une telle conception fait de
la conscience une chose, une substance pesante en laquelle viendrait s’imprimer
nos différents états.
Toutefois, cette conception peut être discutée.
Pour Kant, la conscience est peut
être d’avantage un acte, condition préalable de toute pensée plutôt qu’une
réalité permanente. Pour Kant, la
conscience n’est pas une chose mais une activité, un pouvoir, une fonction de
synthèse. Elle rend l’homme capable de se penser, c’est-à-dire d’accompagner
ses états d’un « je pense ». Cette possession du « je
pense » fait toute la dignité et la valeur de l’homme. La conscience lui
donne une unité, il devient en ce sens une personne. Mais en même temps, il ne
peut plus dire quand il fait quelque chose « ce n’est pas moi ». Il
doit répondre de lui-même, il est fondamentalement un être responsable, un
sujet morale.
Pour les philosophes de la phénoménologie, la
conscience n’est pas quelque chose mais un rapport au monde, une visée, un
projet qui permet l’apparition d’un monde. Elle exprime la liberté du sujet.
II.
Les limites subjectives de la
conscience
Cependant, la conscience est capable de créer
chez l’homme certaines illusions. Elle peut devenir à ce point subjective
qu’elle va rendre le sujet Humain obscur à lui-même. On peut opposer trois
grandes critiques à la suprématie de la conscience :
Ø
Spinoza :
L’homme subit l’influence de son corps et de ses devoirs avant même de penser.
Ø Freud : L’homme possède des états d’âme inconscients
dont il n’est pas conscient. La conscience pourrait ne pas tout savoir de la
vie psychique. En d’autres termes, la conscience n’est pas le tout de la vie
psychique ; le « moi » n’est pas maître de sa propre demeure.
Ø
Hume : La
suprématie de la conscience est construite sur trois présupposés
discutables : l’unité du moi, l’unicité du moi et la permanence du moi.
Selon Hume,
notre conscience ne sait peut être pas notre moi, mais des états fugitifs,
confus, changeants.
III.
Remède à la subjectivité
On peut toutefois chercher des moyens
permettant à la conscience d’atteindre une plus grande objectivité. Pour Hegel, il faut s’interroger sur
soi-même et se voir à travers ses actions concrètes sur le monde extérieur. Un
artiste accède à une plus grande lucidité sur son être à partir de ses œuvres,
il y a donc différents degrés de conscience et d’objectivité, l’objectif étant
de mieux se connaître et de tenter autant que possible de se dégager de ses propres
illusions de soi-même. Autrui peut aussi permettre de rectifier ou de compléter
notre point de vue sur notre conscience. Pour cela, autrui est « le
médiateur indispensable entre nous et nous même », il peut nous aider à
sortir de notre mauvaise foi.
La conscience a également une dimension morale.
Elle semble nous indiquer ce qui est bien ou mal, ce qui est juste ou injuste.
Pour Rousseau, cette dimension
morale de la conscience est innée. Il parle d’un instinct divin qui fait
apparaître la conscience comme une faculté s’imposant avec force à tous les
hommes pour les mener vers le bien. Selon Rousseau,
si les hommes sont mauvais c’est parce que la vie en société les a éloignés de
la nature et qu’ils n’écoutent plus la voix de la conscience.
En revanche, pour d’autres philosophes, la
conscience morale se construit avec le temps et avec autrui. Pour Freud, la conscience morale (le sur
moi) est un produit de l’éducation.
C’est une morale intériorisée et surtout acquise. C’est pourquoi pour Freud, il faut réinterroger les valeurs
du sur moi au moyen de la raison afin de définir des valeurs universelles.
Chapitre : 2 L’inconscient
Le terme « inconscience » est
construit à partir du préfixe latin « in » (négation) et
« conscience » (avoir conscience). La réflexion philosophique
interroge par rapport à une souveraineté possible du sujet, cette possibilité
pour l’homme d’avoir des éléments psychiques inconscients, c’est-à-dire des
formes de pensées inconscientes
I.
Différents types
d’inconscience
1.
Un inconscient du corps
On pourrait qualifier d’inconscient tout ce qui
est relatif aux aspects vitaux du corps. Certains automatismes acquis par
l’apprentissage deviennent inconscients au fur et à mesure que l’habitude
s’installe.
2.
Un inconscient de l’esprit
Leibniz met en évidence des petites perceptions qui
existent an nous sans que nous le sachions.
Bergson montre que, parce qu’ils sont inutiles,
certains de nos souvenirs sont maintenus hors du champ de la conscience et
surgissent involontairement des que notre conscience n’est plus occupée à agir.
Il faut distinguer chez Bergson les
souvenirs utiles, expression de notre moi sociale, des souvenirs inutiles qui
sont l’expression de notre moi profond. Pour Bergson, ce moi est notre vrai moi et la mémoire qu’il possède est
une mémoire pure de notre spirituel et immatériel.
3.
L’inconscient et
l’inconscience
L’inconscient selon Freud est en fait composée d’éléments refoulés et dynamiques. Nous
agissons et nous nous comportons parfois sans que notre conscience puisse expliquer
nos actions et nos comportements. Freud
montre que ces éléments sont les produits de refoulements. Ainsi, les rêves,
les actes manqués, les symptômes névrotiques (angoisses, inhibition…) seraient
la réalisation indirecte et déguisée de désirs inconscients que notre
conscience morale (sur moi) condamne et refoule.
La théorie freudienne pose que seule la
psychanalyse peut connaître ces éléments inconscients et soigner les effets
pathologiques du refoulement. La
découverte freudienne remet ainsi en question la souveraineté du sujet et
l’idée selon laquelle la conscience est le tout de la vie psychique et que rien
ne résiste à la raison.
II.
Critique de la thèse
freudienne et objections possibles à ces critiques
Certains philosophes estiment que la conception
freudienne menace la liberté du sujet. Pour lui l’inconscient n’est pas un
autre moi mais l’effet du corps et des instincts que l’on peut maîtriser par la
volonté. De même pour Sartre,
l’inconscient n’est qu’une conduite de mauvaise foi que l’homme adopte pour
refuser sa liberté en faisant semblant de ne pas être conscient de ce qu’il
fait
Objections possibles à cette
critique
On peut opposer à Sartre et à Alain que Freud n’encourage pas l’homme à se
laisser dominer par son inconscient ni à se déresponsabiliser. Au contraire, la
psychanalyse invite à une meilleure connaissance de soi et à une plus grande
maîtrise. Il s’agit pour Freud de
dénoncer l’illusion faisant croire au sujet qu’il est parfaitement maître de
ses pensées. Pour la psychanalyse, le fait de dire que tout est sens nous
pousse à aller chercher du sens partout. Aucun
acte n’est insignifiant, ils symptômatisent quelque chose de nous-mêmes.
C’est la raison pour laquelle Freud
dit : « là où le ça est, le moi doit advenir. ». La psychanalyse
fait permettre au sujet de connaitre ses refoulements et de s’en délivrer en
rendant au « moi » sa santé et sa liberté.
Chapitre : 3 Autrui
Autrui désigne l’autre dans sa dimension de
personne, de sujet moral. Il est à la fois celui qui n’est pas moi et celui qui
est le même que moi (une subjectivité). La réflexion philosophique interroge le
mode de communication de ces consciences à la fois mêmes et autres : ne
peuvent-elles qu’entrer en conflit et se tolérer par nécessité ou bien une
vraie relation de respect est possible ?
I.
Autrui comme obstacle
On peut concevoir la relation à autrui comme
marquer par le conflit et la rivalité, chaque conscience cherchant à s’imposer
à l’autre en exprimant sa singularité, sa dimension de liberté et sa capacité à
désirer. Pour Hobbs, l’homme à
l’état de nature survie dans un monde de la guerre de « tous contre
tous ».
Autrui peut être conçu comme une conscience qui
juge, qui nous enferme dans un jugement et qui par là-même nous prive de notre
liberté. Dés lors, je ne suis plus qui je veux, je deviens un objet pour le
regard d’autrui. Sartre interroge la
difficulté du rapport à autrui en analysant l’expression de la honte qu’il
qualifie de reconnaissance de soi.
En effet, lorsque je fais un acte honteux je
suis pris dans mon acte. Ce qui m’arrache à moi-même c’est d’être surpris,
j’admets qu’autrui ne se trompe pas et qu’au préalable, je ne me voyais pas tel
que j’étais vraiment.
II.
Autrui comme moyen
Cette dimension conflictuelle de la relation à
autrui peut être complétée par des aspects positifs faisant d’autrui un moyen
nécessaire à l’élaboration de notre propre conscience. Si pour Descartes le sujet se découvre dans le
solipsisme, le « je pense » a également besoin d’une autre conscience
pour le constituer comme tel.
Pour Sartre,
autrui est nécessaire à la connaissance de soi. Paradoxalement, tout en nous
privant de notre liberté, en nous objectivant dans son jugement, il nous permet
de nous voir extérieurement. Cela peut
nous aider à nous sortir du mensonge et de la mauvaise foi. D’un point de vue
philosophique, le mode du dialogue ou de l’échange remplace alors le mode du
conflit.
III.
Autrui comme fin
La relation à autrui peut être plus encore
conçue comme essentiellement morale et fondée sur le respect. Au delà du
respect de convention sociale, on peut concevoir un respect plus désintéressé,
c’est-à-dire ne plus concevoir l’autre comme un moyen mais comme une fin en
soi. Ce rapport à autrui me grandis moralement, l’autre me devient une valeur
sacrée que je n’ai pas le droit de bafouer.
Pour Kant,
il faut définir l’essence du vrai
devoir. C’est l’injonction morale qu’il appelle « impératif
catégorique ». Il symbolise le devoir fait sans conditions, sans intérêts
extérieurs à lui-même. Autrui prends dans l’impératif catégorique la figure de
la personne humaine que je me dois de respecter : « Agit de telle
sorte que tu traite l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne
de tout autre, jamais simplement comme un moyen mais toujours en même temps
comme un moyen.».
Pour Kant,
autrui est tout comme moi-même, un être que je me dois de respecter en tant que
sujet moral, conscience et être de liberté.
Pour Levinas,
la relation à autrui débouche sur une éthique concrète. Mon rapport au visage
d’autrui me plonge d’emblée dans une relation éthique où autrui deviens
l’origine et le fondement de la morale.
Le visage d’autrui explique la loi morale du
« tu ne tueras point ». Sa nudité exprime la dimension fragile de
l’autre, son altérité radicale que rien ne peut saisir ni enfermer, exprime son
infinité. Le visage d’autrui est un appel à la responsabilité fondée sur la
différence et non sur la similitude.
Chapitre : 4 Le désir
Le mot
désir vient du latin « dé » qui signifie « absence de
quelque chose » et « sidus » qui signifie « astre,
étoile ».
Le
désir se défini donc comme un manque. Ce manque crée en nous une tension visant
un but (la satisfaction du désir). Le sens étymologique suggère aussi que le
désir est essentiellement nostalgique. Cette notion de regret a tendance à
idéaliser l’objet de son manque. La question philosophique que l’on va se poser
est « quelles valeurs attribuer au désir humain ? Est-il l’expression
de la liberté humaine, procure-t-il le bonheur, ou bien est-il source
d’esclavage et parfois de malheur ?
I.
L’apparente maîtrise du désir
Nos
besoins ne nous distinguent pas des autres, ce qui fait que nous ayons une
histoire unique est le désir. Le désir se distingue du besoin en ce qu’il
implique la conscience. Il apparaît alors comme illimité et propre à chacun. Le
désir est donc apparemment l’expression
de la liberté humaine. L’animal ne peut pas inventer ses besoins, il n’a donc
pas de désir. En revanche l’Homme invente des objets à ses désirs. Le bonheur
qui suit la satisfaction du désir est le résultat d’un choix. Si nous sommes
capables d’être les maîtres de nos désirs (du fait que nous sommes souverains
sur notre conscience), alors nous pouvons dire avec le calliclès de Platon : « être libre et
heureux signifie remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent sans les
réprimer ».
II.
Les illusions propres au désir.
Le
désir peut-être inconscient. Freud montre
que l’objet de nos désirs peut être symbolique et qu’il s’enracine dans des
pulsions que nous refoulons.
De
même, nous croyons choisir nos désirs, or il apparaît plus tôt que nous
subissons le désir et en sommes dépendant parce qu’ils s’enracinent d’avantage
dans le corps que dans l’esprit (Spinoza :
affecte et idée inadéquate)
De
plus, le désir peut avoir tendance à reproduire le désir d’autrui. Pour Hegel, nous désirons ce qu’autrui
désire parce que cela nous permet d’avoir sa reconnaissance.
Pour Schopenhauer, le désir ne peut que nous
laisser insatisfait, nous souffrons mais nous nous montrons incapable
d’apprécier le moment de la satisfaction car elle nous plonge dans l’ennui et
nous pousse à désirer autre chose.
III.
Désir et connaissance.
Malgré
tout, il serait contre nature de chercher à renoncer au désir. Quand Rousseau dit : « malheur à
qui n’a plus rien à désirer !», il nous montre la valeur du désir en
lui-même, indépendamment de sa satisfaction. Plus encore, le désir a plus de
valeur que sa satisfaction et le vrai bonheur réside justement dans le rêve ou
dans l’imagination de l’objet désirer plus que dans l’objet réel.
Exemples :
Ø
Proust (Balbek, Cabourg)
Ø
Françoise Dolto
Pour Rousseau, l’objet réel de notre désir
est toujours en deçà de ce que nous avons imaginé. Il vaut mieux avoir des
désirs à combler que des désirs comblés. Pour Spinoza, le désir est l’essence de l’Homme, c’est-à-dire ce qui lui
permet d’accroitre sa puissance existentielle.
Que ce
soit pour Spinoza ou pour Freud, il est plus raisonnable de
chercher à modérer ses désirs et s’en rendre maître par la connaissance plus
tôt que de les réprimer. Pour Epicure,
il faut classer les désirs et savoir lesquels satisfaire afin de rester libre
pour espérer être heureux.